Au milieu des « Bonnes fêtes ! », peut-être avons-nous vu émerger ou avons-nous nous-mêmes lancé quelques « Joyeux Noël ! »… Mais au juste, qu’entendons-nous par un « joyeux Noël » ?

Notre imaginaire répondra sans doute : des verres dorés par le champagne, tintant pour célébrer les retrouvailles, au milieu de conversations qui vont bon train, des montagnes de cadeaux soigneusement choisis dans leurs paquets étincelants, couronnant une décoration chaleureuse et réconfortante dans le froid et la nuit de l’hiver… Belle image d’Épinal, ou de publicité ? Certes, mais nous savons aussi que dans les mille détails concrets qui font la trame des réunions familiales peut se dire un amour fort, sincère et fidèle…

Cependant, est-ce là tout ? Et que penser alors des réveillons qui dérogent à ce standard ? Saint François d’Assise, l’inventeur de la crèche avec son décor et ses personnages, créchait lui-même dans une cabane non chauffée, vêtu d’un habit rugueux et grossier, et n’avait pour nourriture que ce qu’il avait mendié… Passait-il de « joyeux Noëls » ?…

Oui, certainement. Il faut dire que son standard à lui n’apparaît pas a priori très élevé, si l’on en juge d’après sa définition de la joie… Selon lui, la « joie parfaite », ce serait d’expérimenter cela : après un tour infructueux de mendicité, vous revenez dans votre communauté, et là, au lieu de vous accueillir, on vous jette dehors à coups de bâton et vous laisse toute la nuit dans la neige… Masochisme ?… Non, car la définition de Frère François ne s’arrête pas là… Il ne s’agit pas pour lui de vivre seulement ce dénuement pour connaître « la joie parfaite », il s’agit surtout de supporter cela avec patience et allégresse, en pensant que nous partageons les souffrances de notre bon Seigneur.

La joie selon ce maître en « esprit de Noël », ce n’est donc ni l’abondance, ni la pauvreté en tant que telle, c’est d’être animé d’un tel amour de Jésus que, quelles que soient les circonstances, fussent-elles affreusement décevantes, nous trouvons en elles un moyen de Le rejoindre, d’être avec Lui, de nous unir à Lui, car Il a tout vécu, le meilleur comme le pire, et continue de tout vivre avec nous.

« La magie de Noël », ce n’est ainsi pas un tour de passe-passe, de la poudre aux yeux et quelques paillettes l’espace de quelques jours, c’est ce cadeau prodigieux, ce don divin qu’ont reçu Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus et Paul Claudel en leur temps, l’une après une messe de minuit, l’autre aux vêpres de la Nativité : le don, la capacité creusée mystérieusement en nous de ressentir une plénitude même dans le manque et l’insatisfaction, que ce soit le manque d’une orpheline de mère, blessée par son père se réjouissant de bientôt ne plus avoir à lui faire de cadeau, ou l’insatisfaction d’un jeune poète étouffant dans le carcan asséchant de la pensée rationaliste.

Aussi, cette plénitude, cette assurance totale de se savoir aimé par Celui qui est l’Amour même, puissions-nous la recueillir, car nous ne saurions nous la donner à nous-même, elle qui dépasse l’entendement, qui défie toute logique humaine. C’est elle qui a poussé cinquante jeunes gens béatifiés samedi dernier à risquer leur vie jusqu’au martyre pour que les jeunes travailleurs requis par le S.T.O. ne voient pas leur âme broyée par le nazisme, qui prétendait les rééduquer, en même temps qu’il les faisait trimer comme des bêtes. C’est elle qui poussait l’un d’eux, Gérard Cendrier, jeune frère franciscain de vingt-quatre ans déporté à Buchenwald pour « résistance spirituelle », à partager sa maigre ration de pain, remplacer ses camarades épuisés par leur aliénant travail, pardonner, prier pour ses bourreaux et même… chanter, là où l’on aurait cru l’enfer advenu sur terre. C’est elle qui fit qu’après avoir été refoulé de l’infirmerie où on ne l’avait jugé pas assez malade (car pas assez « intéressant » pour se livrer sur lui à des expériences ?), en s’écroulant, mourant, dans la neige, il souriait : il recevait, pour toujours, la joie parfaite.

Louise-Hélène Martin-Belle, paroissienne